La nation Wet’suwet’en, les gouvernements et les peuples autochtones : Un plan de réconciliation en 5 étapes

Par Bruce McIvor (Traduction : Denis Marier)

Le Canada en est arrivé à un point crucial.

Le pays continuera-t-il à écraser les droits des Autochtones au nom de l’exploitation des ressources, des emplois et des profits d’une minorité de personnes, ou renoncera-t-il à son passé colonialiste et s’engagera-t-il dans la voie du respect, de la collaboration et des partenariats avec les peuples indigènes ?

Compte tenu de la réaction nationale actuelle à la controverse sur la nation Wet’suwet’en, en soi un tremplin propice de discussion, voici mon plan en cinq étapes pour préparer le terrain en vue d’une vraie réconciliation.

Ce qui suit est le troisième dans notre série d’articles sur l’intervention de la GRC contre les Wet’suwet’en. Cliquer ici pour le premier article, et ici pour le deuxième. (non encore traduits)

#1 Renoncer à la violence contre les peuples autochtones

Le Canada doit mettre un terme à la menace et aux actions de violence étatiques pour déposséder par la force les peuples autochtones de leurs territoires. Il est impossible de parvenir à la réconciliation par la force.

La menace de violence comme outil d’oppression des peuples autochtones réveille le spectre de la longue et violente histoire de colonialisme perpétrée par le Canada. Il n’y a pas de place pour la violence dans un monde post-colonialiste.

Une véritable réconciliation ne peut s’amorcer tant que la violence étatique n’est pas encore une option éradiquée.

Photo Credit: Unist'ot'en Camp

#2 Mettre en œuvre la Déclaration des Nations-Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA)

Nous ne serions pas dans la situation actuelle si le gouvernement de la Colombie-Britannique avait joué franc jeu en disant mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Il y a moins de trois mois, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones a été adoptée légalement en Colombie-Britannique, en grande fanfare. Au lieu d’instituer une nouvelle page dans les relations en vue de la réconciliation et du respect, elle a insinué un climat de ressentiment et de cynisme.

Pour quelle raison ? Parce qu’en réaction à la confrontation de la nation Wet’suwet’en, le gouvernement a outrepassé sa propre loi, argumentant que sa loi en vertu de la DNUDPA ne s’applique pas aux projets qui avaient déjà reçu l’approbation provinciale. La position du gouvernement est inadmissible.

La loi de la Colombie-Britannique qui entérine la DNUDPA n’est pas seulement en fonction de l’avenir. Elle impose une obligation active au gouvernement provincial de veiller à ce que les principes sous-jacents à la DNUDPA soient entérinés dans l’application courante des lois provinciales existantes. Dans ce contexte, le terme « loi » comprend le corps de la loi, les règlements et les politiques.

Le gouvernement fédéral prépare actuellement le dépôt de sa propre législation sur la DNUDPA. Il ne doit pas répéter l’erreur où s’est engouffrée la Colombie-Britannique.

#3 Le gouvernement fédéral doit assumer son rôle

Jusqu’à tout dernièrement, le gouvernement fédéral s’est regrettablement montré absent de cette scène, alors que la GRC a envahi les terres Wet’suwet’en et que des démonstrations d’appui aux Autochtones ont éclaté dans tout le pays.

Le gouvernement fédéral a un important rôle constitutionnel à remplir alors que les peuples autochtones voient leurs droits remis en question par des gouvernements provinciaux et des compagnies d’extraction des ressources.

En 1867, à la naissance du Canada, le gouvernement fédéral s’est vu attribuer l’autorité législative exclusive sur « les Indiens et les territoires réservés aux Indiens ». La raison en était double : établir une politique nationale sur les questions relatives aux Autochtones et protéger les peuples autochtones contre ce que l’on appelait à l’époque les « majorités coloniales locales », que nous appelons aujourd’hui les gouvernements provinciaux.

Dans les dernières années, la Cour suprême a élargi le rôle des gouvernements provinciaux en matière de règlement des différends concernant les droits autochtones et des traités qui les concernent. Ce changement n’absout pas le gouvernement fédéral de ses responsabilités, qui demeurent.

Compte tenu de ce qu’il n’est pas confronté aux mêmes pressions locales que les gouvernements provinciaux en vue d’écarter les peuples autochtones de leur territoire, le gouvernement fédéral a un important rôle à assumer dans le règlement des différends.

Le gouvernement fédéral doit avoir le courage d’assumer ses responsabilités historiques et légales envers les peuples autochtones.

Photo credit: Wladyslaw

#4 Signer des ententes de reconnaissance

La reconnaissance est un prérequis à la réconciliation.

La présente controverse est l’aboutissement de l’exercice, depuis 150 ans, du déni, par la Colombie-Britannique, des droits autochtones – ce qui touche tous les droits autochtones.

Alors que le gouvernement provincial actuel parle ouvertement de reconnaissance et de réconciliation, dans les cours de justice et trop souvent sur le terrain, il perpétue la longue tradition de déni qui constitue la tradition en Colombie-Britannique.

Étant donné que les gouvernements fédéral et provinciaux continuent de nier l'existence des droits autochtones, les cours de justice les enjoignent à rien de plus que les exigences de procédure, soit de procéder à des consultations et, dans certains cas, à des adaptations. Comme la décision de la Cour d’appel fédérale sur l’oléoduc Trans Mountain l’a démontré, le devoir de consulter est devenu un outil inefficace pour les Peuples autochtones cherchant à protéger leurs droits territoriaux.

Au lieu de créer la base d’un dialogue représentatif, le devoir de consulter est trop souvent devenu une porte ouverte à l’imposition par la force militaire de la GRC d’injonctions contre les peuples autochtones. Il y a plus de 15 ans, la Cour suprême du Canada a reconnu que les injonctions sont des solutions du tout-ou-rien dans lesquelles les peuples autochtones se retrouvent trop souvent au petit bout du bâton.

Il revient aux gouvernements fédéral et provinciaux de se défaire, une fois pour toutes, des politiques de déni des droits autochtones et de les reconnaître, par des ententes. Comme la Cour suprême l’a maintes fois rappelé à toutes les parties concernées, les cours de justice ne sont pas requises de participation dans cette reconnaissance des droits autochtones.

Comme les droits autochtones existent sans la reconnaissance par les gouvernements, une entente de reconnaissance officielle viendrait mettre un terme au statu quo destructeur que représente ce déni.

Dans l’éventualité de questions sur des droits prétendus de ‘chevauchements territoriaux’ avec des peuples autochtones voisins, il est toujours possible de limiter les ententes initiales aux droits territoriaux autochtones de souche, ou de reconnaître la nécessité de résoudre les questions de droits concurrentes. Après la signature d’une entente de reconnaissance, il sera possible de procéder à la redéfinition des limites particulières des droits autochtones concernés par des ententes qui en découleront.

Heureusement, nous possédons des constats clairs que le ciel ne tombera pas et que l’économie ne se dématérialisera pas à la reconnaissance des droits autochtones. En 2014, la nation Tsilhqot’in a obtenu la déclaration d’un droit autochtone sur une partie de son territoire. Qu’a-t-elle fait depuis ce temps ? Elle s’est engagée dans des négociations sérieuses et respectueuses avec les instances gouvernementales fédérales et provinciales, sur la base de ses droits autochtones reconnus.

Un aspect final mais crucial de toute entente potentielle de reconnaissance serait qu’elle confirme le respect du droit autochtone.

L’un des développements les plus préoccupants du différend entre la nation Wet’suwet’en et la compagnie du gazoduc tient à ce que la décision de la Cour suprême de Colombie-Britannique dans son injonction la plus récente argumente que même si le droit autochtone existe, il ne peut intervenir dans le cadre du droit canadien sans le soutien d’un traité, d’une loi ou d’une entente.

Si d’une part il existe des questions importantes à débattre sur le bien-fondé de la conclusion de la Cour, d’autre part dans l’immédiat elle a eu pour effet de saper la confiance de nombreux peuples autochtones envers le système légal canadien. Une entente de reconnaissance qui reconnaîtrait aussi bien les droits que les lois autochtones pourrait grandement renouveler la confiance des peuples autochtones dans les cours de justice canadiennes.

#5 Favoriser le processus décisionnel fondé sur le consentement

Il est certain que le respect et la collaboration dépendent d’un processus décisionnel fondé sur le consentement. Tant qu’ils continueront de soulever des craintes quant à la possible imposition d’un véto aux Autochtones, les gouvernements s’inscriront en défaut face aux peuples autochtones et face au public en général.

Comme de nombreux commentateurs l’ont fait remarquer, le véto et le consentement ne sont pas la même chose. Le véto est exercé de façon arbitraire, alors que le consentement est recherché activement et il est parfois retenu.

Lorsque le gouvernement et l’industrie parlent de ‘pas de véto’, l’implication est la suivante : ‘par conséquent nous allons faire ce que nous voulons, que vous soyez d’accord ou pas’. C’est l’antithèse d’une consultation de bonne foi, avec pour résultat que l’on applique de force des projets en faisant fi des préoccupations valides des instances autochtones et des solutions de rechange possibles.

A ce titre, il y a plusieurs années les Chefs héréditaires Wet’suwet’en ont proposé un tracé de rechange au projet de Coastal GasLink, un tracé qui traverserait une partie de leur territoire déjà développé pour l’industrie et qui éviterait d’envahir une partie de leur territoire vierge, non développé. La compagnie a rejeté le tracé de rechange proposé par les chefs héréditaires, alléguant des questions techniques et un coût plus élevé.

Partout au Canada, les solutions de rechange proposées par les Autochtones peuvent être facilement rejetées, les instances gouvernementales provinciales et fédérales s’appuyant sur l’absence d’un véto autochtone, au lieu de chercher à obtenir un consentement.

Tant que les gouvernements s’appuient sur la dynamique du véto, ils ont peu d’intérêt à chercher à s’entendre avec les peuples autochtones dans la recherche de solutions respectueuses et efficaces.

Le processus décisionnel fondé sur le consentement exige la tenue de discussions avec les peuples autochtones dans l’intention de trouver des solutions qui encourageront le consentement des Autochtones. Cela veut aussi dire d’accepter que dans certaines circonstances, la réponse de l’autre partie puisse être négative. Les gouvernements non autochtones conservent toujours le droit de rejeter un projet. Les peuples autochtones ont droit au même respect.

Au Canada le principe du consentement remonte aussi loin qu’à la Proclamation royale de 1763. La Cour Suprême l’a indiquée comme le moyen de prédilection, et comme une nécessité dans certaines circonstances.

Par conséquent – qui est autorisé à donner son consentement ? D’un bout à l’autre du pays les peuples autochtones travaillent à revitaliser leur lois et règles de gouvernance autochtones, soit distinctement ou encore dans le cadre du système des chefs et conseils de bande de la Loi sur les Indiens actuelle. Les instances fédérales et provinciales doivent soutenir cet effort et le respecter.

Le processus décisionnel fondé sur le consentement est pratique et fonctionnel. Il respecte le droit des peuples autochtones de prendre des décisions quant à l’utilisation ou la conservation de leur territoire. Un engagement vers le processus décisionnel fondé sur le consentement établira un cadre de certitude qui profitera à tous les Canadiens.

De quel genre d’honneur se targue le Canada?

Les voix appuyant le statu quo ne cessent de retentir avec force. Se cachant derrière leurs conventions et arguments de complaisance de la « règle de droit »  et de « l’intérêt public », ces voix recherchent le déplacement des peuples autochtones de leurs territoires.

Les Canadiens doivent choisir. Continueront-ils de perpétrer le déni et l’oppression ou s’engageront-ils  dans le respect des droits constitutionnels et des lois autochtones ?

Nos enfants seront les juges des choix que nous prenons maintenant.

La First Peoples Law Corporation est la société-conseil juridique du peuple Unist’ot’en. Les énoncés de cet article sont les nôtres et reflètent nos perspectives sur cette question, et non celles de notre client.


Bruce McIvor, avocat et historien, dirige la First Peoples Law Corporation. Il est aussi professeur associé de l’École de droit Allard de l’Université de la Colombie-Britannique, où il enseigne le droit constitutionnel des droits et traités autochtones. Fier Métis de la région de la Rivière rouge au Manitoba, il détient un doctorat en histoire autochtone et environnementale et est boursier Fulbright. Membre du Barreau en Colombie-Britannique et en Ontario, il est reconnu, à l’échelle nationale et internationale, comme un expert du droit autochtone au Canada.

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